
Créés après la crise financière comme alternative aux fonds sans sortie, les fonds de continuation se multiplient… tout comme les critiques à leur égard. Ces fonds manipuleraient les évaluations, masqueraient les pertes et présenteraient des caractéristiques de type Ponzi.
À l’origine, les fonds de continuation offraient aux sociétés de capital-investissement un moyen de conserver leurs actifs plus longtemps lorsque les marchés de vente étaient asséchés. De nombreux fonds mis en place avant 2008 se sont révélés impossibles à vendre après la crise. Dans ce contexte, il était logique de créer des structures d’extension temporaires.
Depuis, l’application des fonds de continuation s’est considérablement élargie. Les partenaires généraux (GP) conservent plus longtemps le contrôle des actifs « phares ». Les investisseurs existants (LP) peuvent se retirer ou transférer leur participation. De nouveaux investisseurs interviennent à un prix convenu. En théorie, tout le monde est gagnant : il y a de la liquidité, du contrôle et du temps pour maximiser la valeur.
Mais selon Rachel Wasserman, avocate canadienne chez Builder, ces fonds « ressemblent de manière inquiétante à des pratiques de Ponzi ». « Les rendements sont basés sur le capital recyclé et non sur la performance réelle », a-t-elle déclaré à Investment Officer. Les LP qui se retirent sont souvent rachetés avec de l’argent frais des GP, et non avec des flux de trésorerie provenant de la société sous-jacente, a-t-elle ajouté.
Quand la solution devient le problème
Mme Wasserman a travaillé auparavant chez KPMG Corporate Finance et est connue pour ses positions virulentes contre les fonds de continuation. Les mesures prises permettraient selon elle de différer les pertes et de protéger les revenus des commissions. « Au lieu d’être dépréciées, les valorisations sont recyclées dans une nouvelle entité. »
Il y a dix ans, le marché représentait moins d’un milliard de dollars. En 2024, le volume atteindra 38 milliards, avec un record de 70 fonds, selon le fournisseur de données Preqin. Elle décrit ces fonds comme des « solutions de liquidité créatives » sur un marché difficile, où les sorties traditionnelles sont soumises à des pressions.
Quelque 70 nouveaux fonds de continuation lancés en 2024
Source : Preqin.
En Europe, le rythme s’est également accéléré. Selon Mergermarket, le nombre d’opérations de continuation dans la région EMOA a presque doublé l’année dernière. En 2021 et 2022, il y en a eu quatre par an. En 2023, il y en a eu plus de 20.
Pas de véritable sortie
L’investisseur Nassef Sawiris a également exprimé de vives critiques en mai. Dans un article publié dans le Financial Times, il a qualifié les fonds de continuation de « plus grande escroquerie jamais vue » et a accusé les fonds de capital-investissement de regrouper des participations déficitaires dans de nouvelles structures afin d’éviter d’avoir à déclarer des pertes.
Mme Wasserman reconnaît ce risque : « au lieu d’essuyer des pertes, ces fonds de continuation déplacent le problème. C’est ainsi qu’ils maintiennent les frais et évitent les dépréciations. Mais il n’y a pas de véritable sortie. Ce n’est qu’un effet d’optique. »
« Les GP se concentrent sur le retour sur investissement, ajoute-t-elle. Leur réputation dépend des chiffres qu’ils publient, qui peuvent être contrôlés. »
Selon Rachel Wasserman, cela mine la confiance dans le taux de rendement autour duquel tourne toute l’industrie : le taux de rendement interne (TRI). « Le modèle crée des rendements sur le papier, mais échappe à la discipline du marché. »
Le conflit d’intérêts au cœur de la question
Le nœud du problème réside dans le fait que le GP se vend les actifs à lui-même. « Le vendeur veut un prix élevé, l’acheteur un prix bas. Mais il s’agit de la même partie, précise Mme Wasserman. Cela ouvre la porte à des évaluations subjectives. »
Selon Bain & Company, les LP sont parfois mis sous pression dans de telles transactions : ils doivent sortir avec une décote ou espérer une reprise future. « Cela a laissé un goût amer sur le marché », indique le rapport.
Costas Constantinou, d’Oaklins Netherlands, met également en garde contre l’asymétrie d’information. « Souvent, il n’y a pas de test de marché externe. Les nouveaux LP paient peut-être trop cher, tandis que les LP existants perdent de la valeur. » Il compare cela à une maison dont on fixe le prix sans jamais la mettre sur le marché.
Les attestations d’équité ne sont pas indépendantes
En l’absence de test indépendant ou de comparaison avec le marché, les investisseurs ne savent souvent pas si le prix est juste. Pourtant, les attestations d’équité des auditeurs constituent actuellement le moyen standard d’évaluation. Ces derniers ne sont pas toujours indépendants, précise Mme Wasserman : « Aucun bureau ne veut perdre des clients. Et ceux qui sont trop critiques sont remplacés. »
Les régulateurs tels que la SEC, la FCA et l’AEMF tentent quant à eux d’imposer une plus grande transparence. Mais l’application de la législation est fragmentée. Aux États-Unis, les règles de divulgation sont plus strictes. En Europe, la pratique est plus fragmentée et dépend de pratiques nationales qui ne sont pas les mêmes partout.
Mme Wasserman estime que les grands investisseurs institutionnels ont un rôle clé à jouer. « Des fonds comme l’OIRPC ou l’APG ont le pouvoir d’imposer des exigences plus strictes. Mais ils le font rarement ». Elle estime qu’il faudrait exercer davantage de pression sur les sociétés de capital-investissement pour limiter les conflits d’intérêts et faire évaluer les valorisations en externe.